NARRATEUR : Scène 35. Extérieur. Résidence des Cleg. Cours arrière. Soir.
La caméra adopte un point de vue subjectif alors qu’une main entre dans le champ, dans le coin inférieur droit, pour écarter le rideau. Elle nous révèle alors, comme si elle levait un voile sur un souvenir, un flashback dans l’enfance de Spider. La caméra témoigne ainsi des événements en plaçant Spider à deux endroits dans un cadre, de sorte que nous pouvons voir la même personne qui, simultanément, se remémore, observe et manipule son passé. Mais la mémoire visuelle de Spider – comme toutes les mémoires –ne présente pas toujours une version fiable de la vérité.
MME CLEG: Qu’est-ce que tu fais?
SPIDER ENFANT : Quelque chose.
SPIDER : [TOUT BAS] Quelque chose.
DAVID CRONENBERG : Attends, les rideaux bougent, laissons-les se stabiliser.
Vous êtes dans la tête de Spider quand vous regardez le film. C’est définitivement un passage subjectif. Il y a des scènes de Spider adulte qui est dans la même pièce que Spider enfant dans sa mémoire. C’est une façon très visuelle, cinématographique de rendre les effets de la mémoire et de la manière dont nous y retournons et y vivons, mais presque comme un observateur. Il y a de nombreux liens fantastiques avec Freud et ses théories sur la mémoire, et avec la façon dont nous sommes des observateurs de notre passé, mais aussi des participants en même temps.
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : On tourne.
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Ça tourne. Silence s’il vous plaît.
DAVID CRONENBERG : Action!
MME CLEG : Tu es tellement habile de tes mains.
SPIDER ENFANT : C’est pour toi.
SPIDER : Pour toi... C’est pour toi...
RALPH FIENNES : Je pense qu’il a eu une relation très intime avec sa mère. Lorsqu’il a vieilli, il a commencé à prendre conscience de sa sexualité et, à partir de là, de celle des autres, en particulier celle de sa mère, et c’est ce qui a déclenché un bouleversement chez lui. L’idée qu’il entretenait cette relation intime et innocente avec sa mère, puis qu’elle a été corrompue, et cette prise de conscience de la sexualité ont agi comme le moteur de son imagination.
M. CLEG : Tu es prête?
DAVID CRONENBERG : Coupez! ... Bradley, appuie-toi sur ce côté pendant un moment. Je veux voir ce que ça donne. Hum. Ça a du charme aussi.
PATRICK MCGRATH : Miranda Richardson joue le rôle de deux femmes, chacune étant, dans une large mesure, la projection d’un jeune garçon qui ne peut concevoir les femmes que comme des anges ou des putains.
DAVID CRONENBERG : O.K. Acteurs en action!
MME CLEG : Je sors, Spider.
PATRICK MCGRATH : Spider, à une certaine étape de sa vie, commence à reconnaître que sa mère a une existence avec son père dont il n’avait aucune connaissance, à laquelle il ne peut pas accéder. Ils ont une relation sexualisée, une relation d’adultes, qui engendre de nombreux problèmes dans l’esprit névrosé de ce petit garçon.
DAVID CRONENBERG : Coupez!
BRADLEY HALL : Walter, la scène est « spic and span »! [RIRES]
PATRICK MCGRATH: En conséquence, il commence à transformer à ses propres yeux sa mère, qu’il voyait comme un ange de bonté parfaite, en cette émoustillante putain aux allures négligées.
RALPH FIENNES : Il a été enfermé dans un institut pendant la majeure partie de sa vie. Depuis l’âge de 10 ou 11 ans. Pendant cette période, ce dont il se souvenait a été embelli et amplifié.
RALPH FIENNES : Le garçon est là?
DAVID CRONENBERG : Peux-tu le voir?
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Peux-tu le voir?
RALPH FIENNES : Je ne peux pas le voir.
DAVID CRONENBERG : O.K., il faut le placer là où on peut le voir.
RALPH FIENNES : Ça prend sa source dans quelque chose d’affreux. Il a fait quelque chose d’affreux. Et je pense que pour ne pas affronter ça, il a dû créer cette autre enfance
malheureuse, pour se protéger. Il est la victime. Il tente de réprimer une chose horrible qui a été faite à sa mère. Mais ce qui est arrivé à sa mère n’est pas tout à fait ce que Spider a créé.
DAVID CRONENBERG : « Aaaaah! » Comme ça? Quelque chose comme ça? Peux-tu faire ça? Comme, je veux dire... dire, pas comme ça...mais, tu sais, comme...en criant, sors-le. Ne te retiens pas. Montre-moi ce que tu sais faire.
Action!
SPIDER ENFANT : Meurtrier!
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Coupez! [RIRES]
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : O.K. John, peux-tu me rendre un service et placer cette chaise...
CAROLYN ZEIFMAN : Ça te dirait d’essayer ça, David?
DAVID CRONENBERG : « Meurtrier! Meurtrier! Meurtrier! » Pas aussi bon que Bradley.
L’une des choses qui m’a attiré dans ce projet, c’est cette vieille idée hollywoodienne d’identification au personnage principal. La différence entre cette vision hollywoodienne et la mienne, c’est qu’il s’agit d’une étrange identification métaphorique interne. En d’autres mots, mon passé ne ressemble pas à celui de Spider. Je ne vis pas comme Spider. Je n’ai jamais été emprisonné. Néanmoins, il y a quelque chose de très universel chez Spider. C’est la vieille aliénation du XXe siècle. La difficulté de se définir en tant qu’être humain dans la société. Pour illuminer ce qui est universel, vous devez avoir un personnage qui, souvent, va jusqu’aux extrêmes.
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Et... tournez.
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Ça tourne.
PATRICK MCGRATH : Il me semble que l’expérience de Spider n’est pas si inhabituelle. L’un des points qu’une personne pourrait soulever avec un film comme celui-ci, c’est la suggestion que ça aurait pu arriver à n’importe qui d’entre nous. Qu’il n’y a aucune responsabilité morale ni culpabilité associée au décrochage qui vous précipite dans l’univers de la psychose, comme c’est arrivé à Spider. C’est tout à fait dans la réalité humaine que cette maladie ou ce trouble peut s’emparer d’une enfance parfaitement ordinaire, comme celle que vivait Spider, et la transformer en un monde cauchemardesque de paranoïa, de violence et de déviation sexuelle.
BILL CLEG : Aidez-moi, quelqu’un! S’il vous plaît, pour l’amour de Dieu, aidez-moi! C’est toi qui a fait ça! Tu as tué ta maman!
PATRICK MCGRATH : Par conséquent, nous ne décrivons pas l’un de ces scénarios de fiction où il y a une créature étrange venant d’un autre monde. Nous parlons ici d’un être humain qui a eu l’épouvantable infortune d’avoir été profondément perturbé par une maladie mentale très répandue.
DAVID CRONENBERG : Coupez!
MEMBRE DE L’ÉQUIPE : Coupez, s’il vous plaît.
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