Graphique d'un lézard à deux têtes d'eXistenZ

Transcription : Alter ego : décors

CAROL SPIER : Le festin nu a été longtemps dans le...Nous avons attendu longtemps avant de pouvoir faire ce film, avant d’obtenir le financement. Des années, je crois. Pendant un temps, il n’y avait même pas de scénario. David y travaillait. Alors je passais mon temps à relire le roman, que j’avais déjà lu à l’université, mais avais oublié. Alors je relis le roman plusieurs fois et ça me donne des cauchemars : « Comment va-t-on arriver à faire ça? » (RIRES) David m’a suggéré de lire un autre livre, la biographie de [William S.] Burroughs. J’ai lu le livre et ai commencé à me dire « Après tout, peut-être que ça peut se faire. »

Je pense que la version actuelle du film Le festin nu est bien plus une combinaison de petites parties du roman et de grandes parties de la vie de Burroughs en train d’écrire le livre qu’un reflet du roman, ce qui a été plus facile à filmer. Lorsque nous avons commencé, lorsque nous avons enfin obtenu le financement, nous sommes allés à Tanger pour rechercher des extérieurs. Nous avons vu de merveilleux endroits et pris des centaines de photos. Nous avons trouvé les extérieurs que nous voulions utiliser, déterminé quelles scènes nous pouvions tourner à Toronto, parce qu’une partie du film devait se dérouler à New York, tandis que d’autres se jouaient dans l’Interzone, qui était à Tanger.

Nous sommes revenus à Toronto. Nous avons commencé à construire les décors que nous allions utiliser...- les décors new-yorkais pour les scènes tournées à Toronto. Nous avons trouvé les extérieurs pour certaines d’entre elles. Et soudain, la guerre du Golfe a été déclenchée et nous ne pouvions plus aller à Tanger. Nous nous sommes dit : « Bon, qu’est-ce qu’on fait? On cherche d’autres extérieurs qui ressemblent à ceux qu’on avait trouvés? »

Je me suis assise. J’ai fait une liste, que j’ai donnée à David, de choses que nous pourrions probablement construire à Toronto. Et...il a pris ma liste, a réécrit le scénario, est revenu avec une autre liste, et nous avons fini par construire ce qu’il y avait. (RIRES ÉTOUFFÉS)

Ce que nous avons fini par faire, nous avons pris le décor de l’entrepôt de l’exterminateur - c’était ce que nous avions construit au départ -et l’avons transformé pour qu’il devienne l’usine de fabrication de la drogue. Nous avons d’abord utilisé le décor pour des scènes new-yorkaises, puis nous y avons ajouté des éléments marocains. Nous avons modifié le décor, l’avons élévé à certains endroits pour qu’il y ait des niveaux différents et transformé le tout en usine de drogues. Le restaurant marocain de New York est devenu l’appartement de Frost, au Maroc.

Nous avons fait beaucoup de choses comme ça. Le bar new-yorkais a été incorporé dans les rues de la casbah. Je construisais la rue de la casbah –parce qu’ils avaient déjà commencé à tourner à ce moment-là –lorsque nous avons décidé qu’il fallait ériger une casbah. Je montais donc une section de la rue, ils tournaient la scène, puis ils allaient tourner quelque chose ailleurs, et je revenais et ils filmaient une autre section, jusqu’à ce qu’enfin nous ayons ce décor circulaire avec une espèce de...de croix au centre, de sorte qu’ils pouvaient filmer de différents angles... pour obtenir différentes vues. Et le bar en faisait partie, si vous marchiez dans la rue de la casbah, vous passeriez devant le bar new-yorkais.(RIRES ÉTOUFFÉS)

En fin de compte, je pense que c’était mieux comme ça, parce qu’il n’est jamais vraiment allé au Maroc, c’était un trip de drogue.

Tout se passait dans sa tête. Le fait que ces endroits où il était au Maroc étaient des endroits qu’il avait réellement connus au cours de sa vie à New York a semblé faciliter les choses. Et je pense qu’à long terme, ce n’était pas un récit de voyage, vous savez. Ça a fonctionné beaucoup mieux.

J’aime réutiliser des décors quand c’est possible, non seulement pour des raisons budgétaires...- ce qui est une excellente raison en soi. Mais même les couleurs. Si je sais que j’ai utilisé certaines couleurs avec un personnage, je les utiliserai peut-être encore à un autre moment, d’une autre façon. Juste pour avoir cette continuité qui se produit. Ça procure parfois cette tournure bizarre qu’on recherche, sans taper sur la tête de personne, voyez-vous?

PETER SUSCHITZKY : Chaque situation à laquelle je peux penser... où David s’est attaqué à un sujet vraiment inhabituel, il essaie de le relier à la réalité. Un bon exemple de ça, c’est Le festin nu. Parce que lorsque j’ai lu le roman, j’ai émis la suggestion peut-être un peu folle et audacieuse - qui a été rejetée - que ce serait peut-être intéressant de donner aux décors un air presque expressionniste. Il m’a répondu : « Bien, ce qui se produit dans le film, dans le scénario, est si inhabituel que je ne ressens aucun besoin de faire quoi que soit de la sorte. En fait, ce n’est pas ce que je veux. » Alors, de mon côté, j’ai pris la liberté de rendre l’éclairage plutôt expressionniste, car il n’était pas question que j’aie des décors étranges de style Docteur Caligari, je voulais poursuivre dans cette voie sans trop exagérer.