Graphique d'un lézard à deux têtes d'eXistenZ

Transcription : Alter ego : tournage

PETER SUSCHITZKY : Je dirais qu’ils ont changé. Ils sont devenus plus audacieux dans la façon dont ils sont tournés. Pour commencer, pour Alter ego, David voulait que chaque scène soit tournée sous de nombreux angles. On faisait un plan large, puis un plan moyen, et des gros plans. Souvent on ne tournait seulement qu’une petite section d’une scène en plan moyen ou en plan large. Puis on tournait. On ne répétait pas cette partie de la scène quand on coupait plus serré. La plupart des réalisateurs vont chevaucher ou refaire la scène entière dans chaque angle. Il est maintenant devenu très sûr de comment il veut monter ses films. Donc ils sont devenus des productions dans lesquelles il y a très peu de métrage rejeté ou peu de minutes de temps numérique rejeté.

RON SANDERS : Il y a des tas de choses dans Alter ego que je regarde et aime vraiment. En partie parce que le jumelage était difficile. Il n’y avait qu’une seule machine de mouvement informatisé en Amérique du nord, je crois à ce moment-là, et nous l’avions. Et elles sont tellement harmonieuses, elles fonctionnent si bien, et les performances de Jeremy étaient tellement bonnes. Je peux regarder ça et sentir vraiment...je veux dire, je peux regarder ça et dire, « Waouh! ça marche vraiment bien. »

Alter ego est en fait l’un de mes préférés parmi les films que j’ai...c’est peut-être mon... LE préféré. Je ne veux pas en fait prendre de décision à ce sujet, mais il pourrait être le préféré. Il était très technique. Ce qu’on a fait a été de créer des composites vite fait bien fait, des deux éléments qu'on pensait que nous allions utiliser quand on a regardé les rushes. Puis on a pris ces composites -- et c’était l’époque des vrais objectifs, ils n’étaient pas générés par ordinateur. On les a pris et utilisés comme rushes à monter. Ensuite, s’ils ne marchaient pas entre eux, on revenait en arrière et on changeait la relation entre les deux éléments composites et on reprenait tout à zéro. Donc c’était d’essayer de se concentrer sur la performance, tout en se souciant de tout ce truc technique. C’est plus facile à faire maintenant que ça ne l’était à ’époque. Et je pense que parce que j’ai fait beaucoup de planification avant que ça commence -comment on allait le faire, comment j’allais travailler, comment le flux de travail allait se passer, pour que je puisse me concentrer sur la performance sans avoir besoin de me concentrer sur toutes les choses techniques qu’on avait à faire.

Et je crois que ça a marché vraiment bien parce que... je crois que ses deux performances sont superbes. Dès le premier jour – en fait avant le premier jour, on a fait quelques tests plusieurs mois avant –il avait les deux personnages, même dans les tests. Les deux personnages étaient bien différents et bien spécifiques en eux-mêmes. Et je trouve qu’il était fantastique. J’avais anticipé tous les points techniques –avec l‘aide de nombreuses personnes, on a réussi –mais le plus important c’était Jeremy. Les interprétations qu’il donnait...vous savez, c’est difficile de jouer quelque chose qui va être à soi-même jouant le rôle d’une autre personne à une autre personne. Ça demande beaucoup de focus et concentration de sa part et il était extrêmement bon, il est extrêmement bon techniquement, comme le sont bon nombre, la plupart des acteurs britanniques. Vous savez, ils sont techniquement très bons, ont de la continuité et un haut niveau de performance au cinéma. Il était brillant et ça, c’était le plus important. Et c’est peut-être bien mon préféré des films de David. Je peux encore le regarder et m’émerveiller de voir comment tout roule bien, considérant à quel point cette sorte de chose était primitive à l’époque.

JEREMY IRONS : Oui, il a fallu que je trouve un moyen, mais n’importe quel artiste du cinéma doit faire ça. En fait, c’était très simple. J’avais une Némésis – j’avais la personne à laquelle je parlais, le « moi » –toujours hors champ. Cet acteur qui est dans chaque scène du film mais n’apparaît jamais, il était toujours à la hauteur de mon regard, il me donnait la réplique. Donc je pouvais jouer avec lui.

Maintenant, je suis l’un de ces acteurs qui– peut-être que cela signifie que je serais meilleur réalisateur qu’acteur –je sais toujours ce que l’autre acteur devrait faire. Je sais rarement ce que je devrais faire. Le bon côté de tout ça, bien sûr...est l’autre acteur, car j’allais faire volte-face et jouer ce rôle. Donc je pouvais en quelque sorte voir ce qu’il faisait et dire, « Non, c’est pas bon, mais de toutes façons on va le faire comme ça... »

Et j’ai trouvé le processus...qui est tout simplement, tu joues la scène disons que c’est une scène de marche, vous marchez tous les deux dans un couloir en bavardant…la caméra est sur des rails, tu joues cette scène. Ils appuient sur un bouton, ce mouvement de caméra est enregistré dans l’ordinateur. Donc quand on a fait deux ou trois prises... – et chaque prise sera, bien sûr, différente : une vitesse différente de la caméra, j’aurai bougé à une vitesse différente. Ces – disons trois, quatre - prises sont mises dans l’ordinateur. Je vais alors me changer, je reviens en tant que l’autre personnage, et la caméra répète exactement ce qu’elle... a fait pour la prise un, la prise deux, la prise trois et la prise quatre... avec moi de l’autre côté.

Parfois, pour focaliser, je demandais une...– si c’était une prise de marche et que je devais garder le même rapport avec la caméra que j’avais eu de l’autre côté –je demandais à ce qu’une barre sorte. Et j’avais une...d’une certaine façon, je gardais la barre sur l’estomac pendant que j’avançais, donc je savais que j’étais à la bonne position, je n’avais pas besoin d’y penser.

Je crois qu’il y a seulement huit prises avec les jumeaux dans tout le film. David était très malin. Il s’est dit, « On fait une illusion ici, on joue des jumeaux... mais je ne dois jamais faire deux prises là où normalement je ne ferais pas deux prises. Juste pour faire le malin. Je fais deux prises là où j’utilise deux prises, sinon, c’est juste la question de monter l’une ou l’autre. » Donc il ne met pas l’attention sur l’illusion. Et je pense que c’est typique de David. Il est vraiment très, hum...on pourrait parler à l’infini des qualités de David comme réalisateur, mais il est très intelligent et subtil.

PETER SUSCHITZKY : Il y avait un certain nombre de demandes – de demandes techniques, qui étaient tout à fait nouvelles pour moi. En tout cas une en particulier, c’était la capacité d’utiliser une caméra et un chariot contrôlés par ordinateur. C’était dans les tout premiers temps du mouvement informatisé, et j’étais complètement fasciné. On l’utilisait très rarement parce que cela prenait toujours beaucoup de temps, du moins à l’époque, pour préparer une prise avec le mouvement informatisé. Maintenant, ça fait partie du tournage et je suis sûr que ce n’est pas aussi laborieux à utiliser, mais j’ai toujours appelé ça le « contrôle émotionnel » parce que chaque fois que je l’ai utilisé pour un film ou une publicité, ça a pris beaucoup de temps et de réflexion pour l’utiliser. Et comme vous le dites, on devait créer des jumeaux à partir d’une personne. On a utilisé plusieurs techniques pour créer cette illusion. Parfois on utilisait une doublure. Et on filmait par-dessus l’épaule de la doublure et le public a cru que les deux personnages étaient jumeaux. Parfois on a utilisé des coupes optiques. On photographiait Jeremy jouant l’un des personnages, puis jouant l’autre avec une caméra verrouillée habituellement, parce que c’était la façon la plus simple de le faire à cette époque avant que les effets numériques deviennent faciles à utiliser.

JEREMY IRONS : Un film est une illusion; nous créons un monde qui n’existe pas. Et l’illusion ajoutée d’Alter ego a vraiment chatouillé mon imaginaire. Le fait qu’il y avait deux jumeaux identiques...tous deux joués par le même acteur. Et je crois que ça vous donne une énorme opportunité.

Je me rappelle rechercher comment arriver à faire ça. Et quand on le préparait, on tournait sur deux jours séparés, un pour chacun des gars. J’avais des loges différentes pour chacun. Et je crois que le deuxième jour, quand on a regardé les rushes du jour précédent- rappelez-vous à ce moment-là on n’avait pas de vidéo, sur laquelle on pouvait vérifier tout de suite -on était assis à les regarder et j’ai dit à David et à Peter Sus, « C’est sans espoir. » J’ai dit, « N’importe qui peut voir la différence entre les deux. On ne les confondra jamais. Ils sont juste – vous savez... »

Alors j’ai dû trouver un moyen de jouer deux personnes- une personne jouant deux personnes -deux personnes qui pourraient être prises l'une pour l'autre. Mais qui étaient différentes. Et j’ai trouvé un interrupteur interne, et j’ai mélangé tous leurs vêtements, et j’étais capable de passer intérieurement de l’un à l’autre. Ensuite, quand je devais jouer l’un d’eux prétendant être l’autre, je reproduisais les gestuelles externes que je connaissais sans changer l’interrupteur interne. Par ça j’espérais que le public serait capable de voir.

Et ce processus...Je pense que c’est vraiment intéressant, et je suppose que c’est un travail qu’en tant qu’acteur, on n’a pas souvent l’occasion de faire. C’est vraiment la raison pour laquelle je suis fier de ce que Peter, David et moi avons réussi à faire.

HOWARD SHORE : Alter ego est intéressant parce qu’il a été fait très...la musique de film est avant tout un point de vue. Ce que j’ai fait avec ça –ça m’a pris un moment avant de vraiment comprendre, de vraiment saisir cette idée. Et bien sûr, David...Les films qu’on avait réalisés avant Alter ego, n’étaient pas autant...étant... utilisant la musique de film de façon traditionnelle, et étant aussi spécifique à son sujet. Je veux dire que les films de David ne sont pas là pour exprimer les idées aussi clairement pour vous. Il crée beaucoup d’ambigüité dans l’œuvre. Il veut que vous décidiez comment vous vous sentez à propos du film et comment vous ressentez la scène et les personnages. Et ça, en soi, est une technique unique. Donc ce qui est exprimé n’est pas toujours clair. On vous entraîne dans l’histoire et vous pouvez prendre vos propres décisions. Et je pense qu’Alter ego est un très bon exemple de ça, où son expression, dans le film, et dans la façon dont il est tourné, dans le jeu et Jeremy, son montage – tout crée quelque chose qui...dans une vision plus large que ce qui est actuellement à l’écran. C’était une histoire juteuse mais il l’a portée à l’écran d’une façon bien plus large, ce qu’il fait toujours, vraiment. C’est ça qui est amusant.

Donc la musique d’Alter ego marche dans tous les coins et recoins. Tout est en filigrane. Ce n’est pas au sujet de ce qui est nécessairement à l’écran. Elle ajoute une autre couche, une autre dimension au film. Elle donne de la profondeur à l’histoire. Et elle vous fait sans doute aussi penser à des choses d’une façon plus subtile.